La France connait un large déni sur la question de la sexualité des personnes handicapées. A l’instar d’autres catégories de la population, comme les personnes âgées, la sexualité des personnes en situation de handicap est un véritable tabou. Pour preuve, les appels à l’aide réguliers d’établissements de santé, d’établissements médico-sociaux et même des familles qui ne savent pas comment rendre possible, dans un cadre légal et sûr, une liberté sexuelle à des personnes qui ne peuvent pas vivre une intimité affective et/ou sexuelle sans être accompagnées.
Le cadre juridique français toujours plus répressif
Aujourd’hui, accompagner sexuellement une personne handicapée est considéré comme de la prostitution et, par voie de conséquence, une personne handicapée qui a recours à ce service commet un délit de recours à la prostitution (création de ce délit en 2016 par la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées). NB. Ce n’est pas la prostitution qui est sanctionnée, c’est bien le recours à la prostitution, également appelé la pénalisation du client. Sans l’interdire formellement, le législateur a pour objectif l’abolition de la prostitution, d’où le terme d’abolitionnisme (auquel on peut largement préférer celui de prohibitionnisme).
De plus, mettre en relation une personne en demande d’accompagnement avec un ou une accompagnante, même de manière entièrement bénévole, c’est du proxénétisme.
Des faits qui ne sont en réalité jamais poursuivis en justice car « tout le monde sait, mais personne ne veut voir ».
Les textes internationaux
Le Conseil de l’Europe recommande depuis 1992 une ouverture des Etats sur ces questions et indique que « des mesures appropriées devraient être prises pour assurer aux personnes handicapées et en particulier aux personnes handicapées mentales des conditions de vie telles que leurs relations affectives et sexuelles puissent se développer normalement » ; « les réponses aux différents besoins de l’ensemble des personnes handicapées devraient être offertes prioritairement dans le cadre général des services sociaux, sans perdre de vue, dans certains cas, que des services spécifiques seront nécessaires pour répondre à des besoins particuliers de cet ensemble ; et que ces services devraient procurer le maximum possible d’autonomie à la personne handicapée ».
Les Règles pour l’égalisation des chances des handicapés publiées par l’Organisation des Nations Unies en 1993 et la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU de 2006 affirment également l’existence d’un droit à la vie affective et sexuelle sans « discriminations fondées sur le handicap ». Les Etats s’engagent à garantir « aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement » à travers « des aménagements raisonnables ».
Pour aller plus loin quand aux textes internationaux : [https://www.cairn.info/revue-reliance-2008-3-page-74.htm]
Les débats en France
La législation française actuelle revient donc à nier la liberté sexuelle d’une certaine catégorie de la population et à pénaliser la pratique de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées. Cette pénalisation conduit également à maintenir dans la peur les associations qui essaient de mettre en lien celles et ceux qui ont un besoin, avec celles et ceux qui se sont formés pour répondre au mieux à ce besoin.
Le débat avait pourtant été ouvert en 2011 par le rapport CHOISSY (du nom du député qui démissionna quelques mois après avoir rendu ses préconisations au premier Ministre Fillon). Voir [https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/114000695.pdf] Sous l’intitulé « PASSER DE LA PRISE EN CHARGE… A LA PRISE EN COMPTE », ce rapport montrait toute les subtilités du sujet, mais également les difficultés politiques à venir : "Parler de la sexualité de la personne handicapée renvoie à la moralité et donc à un jugement de valeur des personnes. Doit-on juger, peut-on juger quand l’entourage de la personne ressent lui-même un malaise confus à l’évocation de ce sujet ? Le rapporteur a bien compris que si un texte réglementaire ou législatif devait voir le jour, les effets ne pourraient concerner que les seules personnes handicapées n’ayant pas accès à leur propre corps. (…) La plupart de celles et ceux qui portent la parole évoquent un manque évident de formation aussi bien chez les professionnels que pour les accompagnants sociaux ou familiaux, mais nombreux sont celles et ceux qui lucidement reconnaissent que, si les mentalités n’ont pas encore suffisamment évolué, un chemin a été défriché par les initiatives associatives et ouvert par les lois successives et les actions positives du Gouvernement. (…) C’est un devoir de vigilance qui s’impose à la conscience du monde politique, c’est aussi un moyen de faire évoluer les mentalités et de changer le regard que la société porte sur les personnes handicapées. "
L’année suivante, Roselyne Bachelot en tant que Ministre de la Santé saisit le « Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé » (CCNE). Le Comité rendra un avis négatif en s’appuyant sur le « principe de non-utilisation marchande du corps humain ».
A nouveau saisi en 2020 par Sophie Cluzel, Secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, le comité consultatif national d’éthique rend un nouvel avis (avis n°118) qui se conclut de manière ambigüe : « Le CCNE ne peut discerner quelque devoir et obligation de la part de la collectivité ou des individus en dehors de la facilitation des rencontres et de la vie sociale, facilitation bien détaillée dans la Loi qui s’applique à tous. Il semble difficile d’admettre que l’aide sexuelle relève d’un droit-créance assuré comme une obligation de la part de la société et qu’elle dépende d’autres initiatives qu’individuelles. » [https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis_ndeg118.pdf] Traduction : « rendons les lieux de dragues accessibles aux handicapées, mais on ne peut pas accepter ce qui s’apparente à de la prostitution, même si on comprend bien la difficulté… ».
Le champ et les limites de la présente proposition de loi
Dans ce débat emprunt autant de morale que de méconnaissance de la réalité (voire d’aversion farouche), il est proposé une motion sous forme de proposition de loi dépénalisant le fait de mettre en lien des personnes formées à l’accompagnement sexuel avec des personnes en ayant besoin. Pour parvenir à son objectif, la proposition ne touche pas à la définition de la pénalisation du recours à la prostitution, ni au délit de proxénétisme. Elle crée en revanche une exception à ces délits en imposant la reconnaissance de l’activité des associations qui deviennent agréées sur le modèle des associations d’usagers du système de santé. En d’autres termes : si une association qui obtient l’agrément (avec le sérieux de ses formations et la qualité de la mise en relation) met en lien des gens de manière bénévole, cette action ne peut pas être qualifiée de proxénétisme et la personne handicapée qui en bénéficie ne commet pas un délit de recours à la prostitution.
La lutte pour la reconnaissance des droits des travailleurs et travailleuses du sexe doit se poursuivre en parallèle, mais il s’agit ici de reconnaître l’importance de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées et du travail des associations. De plus, il n’y a pas que les travailleurs et travailleuses du sexe qui sont concernées. La formation à ce type d’accompagnement est essentielle, pour les personnes qui le prodigue (TDS ou non), comme, au final, pour les personnes qui en bénéficient.
Enfin, il est à relever que la formation à l’accompagnement sexuel des personnes handicapées a été jugée licite (même si ce n’est pas un arrêt de haute Cour, il n’a jamais été remis en cause : voir Tribunal de grande instance de Strasbourg, Ordonnance du 6 mars 2015, Référé civil, n° 15/00173 ; note P. Missoffe, « L’admission judiciaire d’une formation théorique à l’assistance sexuelle pour les personnes en situation de handicap », in La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés : [http://journals.openedition.org/revdh/1084]). On ne peut donc pas reprocher à cette proposition de loi de donner un agrément à une association pour des activités illégales, ce qui augmente ses chances d’être reprise par des parlementaires.
Le parti pirate propose que soit créée un agrément pour les associations oeuvrant dans le champ de l’accompagnement à la santé sexuelle des personnes handicapées.
Le parti pirate propose que la mise en relation bénévole par une association agréée, d'une personne en situation de handicap avec une personne formée à l'accompagnement sexuel, ne puisse pas être qualifié de proxénétisme.
Le parti pirate propose enfin que la personne handicapée qui bénéficie du service d'accompagnement à la santé sexuelle ne puisse pas être poursuivi pour le délit de recours à la prostitution.
Pour cela, le parti pirate propose que soit envoyée à l'ensemble des députés français, la proposition de loi suivante :
Proposition de loi en faveur de l’accompagnement à la vie affective et à la santé sexuelle des personnes handicapées
Article 1 Il est ajouté à l’article 225-6 du Code pénal, la phrase : « Hors le cas prévu à l’article L. 1114-8 du Code de la santé publique. »
Article 2 Il est ajouté à l’article 611-1 du Code pénal, l’alinéa 2: « L’alinéa précédent ne s’applique pas aux personnes visées par l’article L. 114 du Code de l’action sociale et des familles ayant recours à une mise en relation par les associations agréées au sens de l’article L. 1114-8 du Code de la santé publique ».
Article 3 I. Le code de la santé publique est ainsi modifié ; l'article L.1114-8 du Code de la santé publique est créé et ainsi rédigé :
« 1°. Les associations, régulièrement déclarées, ayant pour activité l'accompagnement à la vie affective et à la santé sexuelle des usagers du système de santé font l'objet d'un agrément délivré par l'autorité administrative compétente au niveau national. L'agrément est prononcé sur avis conforme d'une commission nationale qui comprend des représentants de l'Etat, dont un membre du Conseil d'Etat et un membre de la Cour de cassation en activité ou honoraire, des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat et des personnalités qualifiées en raison de leur compétence ou de leur expérience dans le domaine associatif.
L'agrément est notamment subordonné à l'activité effective et publique de l'association dans le domaine de l'accompagnement à la vie affective et à la santé sexuelle des usagers du système de santé, ainsi qu'aux actions de formation et d'information qu'elle conduit, à la transparence de sa gestion, à sa représentativité et à son indépendance. Les conditions d'agrément et du retrait de l'agrément ainsi que la composition et le fonctionnement de la commission nationale sont déterminés par décret en Conseil d'Etat. Seules les associations agréées représentent les usagers du système de santé dans les instances hospitalières ou de santé publique.
2°. L'éventuelle activité d'entremise des associations ne satisfaisant pas aux conditions du paragraphe précédent encourent les peines prévues à l'article 225-12 du code pénal ».
Article 4 Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions d’application de l’article L. 1114-8 du Code de la santé publique et la composition de la commission nationale chargée de délivrer l’agrément. Le décret entrera en vigueur au plus tard dans les dix huit mois suivant la publication de la loi.