Le 4 juin 2021, le collectif Technopolice publiait un article très complet1 sur la gestion de la vidéosurveillance par la municipalité marseillaise nouvellement élue.
Ce même article a depuis été republié le 8 juin sur le site Internet de la Quadrature du Net2.
Entre temps, le 7 juin 2021 Christophe Hugon, élu Pirate au sein de majorité à la mairie de Marseille, cité dans l’article en question, a envoyé un courrier aux membres du collectif Technopolice et de la Quadrature du Net
Dans un souci de transparence, nous vous proposons de découvrir le courrier de notre élu marseillais.
Bonjour,
J’ai été informé que la politique de la ville vis-à-vis de la vidéo surveillance pose d’importants problèmes pour votre association. C’est un avis que je partage. Avant de développer ma position personnelle, j’aimerais malgré tout présenter la situation, techniquement et politiquement.
La compétence
Je suis aujourd’hui délégué à l’open data, la transparence, le système d’information et le numérique municipale auprès d’Olivia Fortin, adjointe au maire. Cela veut dire que j’ai la possibilité de proposer des politiques correspondants aux domaines de compétences politiques de cette délégation, propositions qui doivent nécessairement être validées par O. Fortin et le Maire avant de pouvoir être appliquées ou soumises au vote. Ce domaine ne concerne que la stratégie numérique, l’open data et les solutions de transparence qui s’y rattachent. Rien d’autre. La compétence de sécurité, dont la vidéo surveillance fait partie, est exclusivement à la charge de Yannick Ohanessian. Je me suis volontairement saisi du sujet de la vidéo surveillance pour défendre mes positions et tenter d’être force de proposition. Ce qui est resté globalement lettre morte.
Le rapport aux services
Le service le plus en rapport avec ma délégation est le service numérique et du système d’information (NSI). Avec eux j’établis la stratégie globale (notamment les avancées en logiciels libres et formats ouverts en priorité), de la donnée et les rapports avec les autres élus en rapport avec le numérique. Cela ne veut en aucun cas dire que je suis leur patron et que j’ai un pouvoir direct sur le budget. Leur rôle est d’établir un budget et des projets qui répondent à la commande politique de tous les élus. La particularité de la NSI est d’être un service très transversal. Sa ligne politique dépend donc de la plupart des élus : Aux écoles pour Superminot (logiciel d’inscription scolaire, https://superminot.marseille.fr/maelisportail/module/home/), à l’économie pour le déploiement fibre, mais aussi à la sécurité pour la vidéo surveillance. Les lignes budgétaires concernant ces sujets sont une réponse à la politique de chacun des élus pour chacune de leur délégation.
Le budget
Il y a énormément de choses à dire sur le budget. Pour faire simple, les recettes provenant de la vidéo surveillance proviennent essentiellement d’investissements précédents (La maintenance du système ne pouvant être abandonnée du jour au lendemain, elle fait l’objet d’une ligne budgétaire). Le budget dédié à la maintenance du système permet de ne pas l’abandonner du jour au lendemain. Quant au déploiement phase 3, il était déjà engagé par la mandature précédente. Pour renoncer à ces points, il aurait fallu une volonté politique très forte, un dédommagement des entreprises etc., une décision que Y. Ohanessian n’a pas souhaité prendre, même pendant le moratoire. Cette thématique sortant de ma délégation, me consulter était facultatif. Ça n’a d’ailleurs pas été fait. Le vote du budget est un vote de majorité plurielle. Ceux qui ont peur de l’open data l’ont voté. J’ai voté moi aussi, laissant les hommes et femmes politiques en compétence tirer les bénéfices et les conséquences de leurs choix. Voter contre aurait, de facto, voulu dire voter ma sortie de la majorité, et donc renoncer à des projets que je n’avais pas pu encore suffisamment engager pour ne pas être remis en cause par l’actuelle majorité.
Sur le débat
Dès mon arrivée j’ai très souvent forcé le débat sur le sujet. Ça n’a pas pris. J’ai utilisé vos mails pour appuyer l’évidente nécessité d’un choix assumé sur cette politique, contre ou pour. Je n’ai pas personnellement répondu directement à vos mails dans un espoir de retour positif. Ce n’est malheureusement jamais arrivé, et je n’ai pas donné de réponse, je le regrette. N’ayant aucun mandat sur le sujet, que ce soit auprès de la mairie ou du Parti Pirate, je n’ai pu que vous transmettre l’explication succincte sur le moratoire. Aujourd’hui j’arrive au bout de mes possibilités politiques sur ce sujet. Cette attente et ces résultats médiocres auprès du groupe de la majorité font partie des raisons pour lesquelles je me présente aujourd’hui, en désaccord avec la majorité, aux élections départementales, le département étant une collectivité qui contribue grandement au déploiement de la vidéo surveillance et dans laquelle ma voix pourrait être entendue.
Sur la véracité
Je l’ai laissé transparaître, et je le dis encore. Que ce soit par les appels d’offres demandant des projets au-delà de la légalité, ou par une communication sécuritaire désastreuse, l’ancienne majorité a donné une image de ce qui a été déployé qui dépasse largement la réalité. Je ne pense pas qu’ils mentaient sur la volonté politique qu’ils pensaient avoir appliquée, ils n’ont tout simplement jamais vraiment compris de quoi ils parlaient. Aujourd’hui je travaille surtout sur la mise à plat des réalités afin que le débat redevienne concret. Ce qui est déployé est déjà très largement critiquable à mon sens.
En quelques mots :
- M’pulse (big data de la tranquillité publique) est une cartographie des événements publics, manifestations et diverses informations de la police. Cela permet de repérer les points où les risques sont les plus élevés. Le prédictif se résume à reprendre les situations similaires passées (matchs + manif + marché au Prado par exemple), et d’en déduire le risque d’accident/débordements, etc. Le prédictif basé sur les réseaux sociaux, par exemple a été considéré comme inexploitable grâce au RGPD.
- La reconnaissance en vidéo surveillance ne fait que de la reconnaissance de formes et de couleurs. La biométrie, par exemple, a été considérée comme illégale par l’administration et n’est pas déployée à Marseille, quelle qu’elle soit.
Cela étant dit le débat demeure sur de nombreux points précis : La vidéo surveillance, la possibilité de suivre une voiture ou un pull rouge (tracking), les limites à établir sur M’pulse (données personnelles, ouverture des informations), l’utilisation de logiciels propriétaires, le contrôle de non-transmissions de données vers l’extérieur, la gouvernance des données, etc. Ce débat doit avoir lieu. Mon travail actuel, correspondant à ma délégation, est de comprendre en profondeur le fonctionnement de l’installation actuelle afin de pouvoir proposer une transparence et une communication utile et non démagogique.
Sur ma proposition au débat
Mon objectif, en amenant ce débat, était d’avoir un projet favorable à la réduction, voir la suppression de la vidéo surveillance dans le cadre d’une majorité plurielle, projet se voulant donc consensuel. Ce projet se base sur l’idée de changer le paradigme de la « vidéo protection » et du « big data de la tranquillité publique » sécuritaires en un paradigme de gestion de l’espace public, de déploiement de moyens humain et d’utilisation d’une partie des infrastructures pour la lutte contre la fracture numérique. Étant donné le coût de l’installation, la fermeture en priorité des caméras les moins utiles donnerait des moyens à investir dans l’humain (médiation sociale voire policière) à déployer là où les autres caméras et l’observation de l’espace public semblent en indiquer le besoin. Ce faisant, ce projet rend les caméras moins utiles. L’idée est d’entraîner une réduction progressive et continue combinée avec un réinvestissement dans la présence humaine. Les fourreaux dédiés, appartenant à 50% à la ville, pourront alors être réutilisés afin d’améliorer le déploiement de la fibre optique et, éventuellement, de déployer un réseau social tel qu’il existe encore en « cuivré ». La mise en location des fourreaux de la ville en augmenterait aussi la portée ou les moyens.
Sur ma position personnelle
N’ayant pas mandat, je n’ai jamais exprimé ma position, que ce soit au nom du Parti Pirate ou de la mairie. Malgré tout, je ne cautionne ni l’installation actuelle ni son paradigme. Je trouve la position de la mairie molle, et peu convaincante : Elle n’a ni l’envie de capitaliser sur l’installation, ni de s’en défaire. Les seules communications que j’ai pu faire n’ont pu dépasser cette position malheureusement officielle.
Au-delà de la dégradation politique que les grands partis ont pu démontrer dans cette échéance électorale, aujourd’hui le manque de débat, aussi bien en interne de la majorité qu’en externe, ainsi que de processus de co-construction intelligents sur beaucoup de sujets (dont, bien sûr, celui de la vidéosurveillance qui me tient particulièrement à cœur) me poussent à acter un fort désaccord avec une majorité qui a trahi le programme politique auquel j’avais contribué.
En espérant avoir clarifié objectivement et factuellement la situation politique actuelle sur ce sujet, je me tiens évidemment à votre disposition, ainsi que le Parti Pirate et ses porte-paroles, pour une rencontre privée ou, de préférence, publique pour échanger sur le sujet et voir dans quelles mesures nous pouvons travailler ensemble à l’avenir.
Bien à vous,\ Christophe Hugon\ Conseiller municipal délégué à la transparence, à lʼopen data municipal et au système dʼinformation et au numérique de la ville\ Mairie de Marseille
-Mail de Christophe Hugon envoyé aux membres de Technopolice et de la Quadrature du Net le 7 juin 2021.
Nous, Pirates, confirmons notre engagement pour le respect de la vie privée, et notre combat contre l’obsession croissante de surveillance.
Nous remercions les membres de Technopolice et, à travers ce collectif, la Quadrature du Net, pour leur vigilance dans cet engagement commun.
Nous regrettons toutefois que ce combat ait mené aujourd’hui ces organisations à pointer du doigt l’un de nos élus sans chercher un seul instant à contacter le Parti Pirate pour connaitre les tenants et les aboutissants de la situation marseillaise.
Nous regrettons également l’absence totale de dialogue avec le collectif Technopolice et la Quadrature du Net, c’est pourquoi nous les invitons à une rencontre à cœur ouvert selon les modalités de leur choix, à la date de leur choix, et nous leur assurons que nous serons au rendez-vous.
Nous confirmons notre plein et entier soutien à Christophe Hugon dans ses fonctions d’élu, et nous faisons tout notre possible pour vous informer de l’évolution de la situation locale au regard de notre capacité militante. La plupart de nos réunions sont publiques, et nos réunions privées sont ouvertes aux inscriptions, nous mettons tout en œuvre pour établir le dialogue avec toutes les organisations qui le souhaitent, en transparence.
Nous, Pirates, estimons que les combats originels de Technopolice, de la Quadrature du Net et du Parti Pirate sont parfaitement compatibles. Notre engagement militant commun est précieux pour nos vies privées, pour nos libertés, pour la démocratie.
Les Pirates respectent la vie privée.
Nous, Pirates, protégeons la vie privée. Nous combattons l’obsession croissante de surveillance car elle empêche le libre développement de l’individu. Une société libre et démocratique est impossible sans un espace de liberté hors-surveillance.
-Code des Pirates, Article II3