Parti Pirate - Sécurité partout, liberté nulle part – Première Partie

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Sécurité partout, liberté nulle part – Première Partie

Publié le 11/12/2020
  • Le Parti Pirate

Dans ce feuilleton en 4 parties, nous souhaitons établir un état des lieux du recul de l’État de droit et des libertés individuelles dans notre pays. Un résumé exhaustif de ce recul nécessiterait de fournir un travail monstrueux. Ce texte, qui a demandé aux Pirates un certain nombre d’heures de recherches, de lectures et de vérifications, n’est finalement qu’une ébauche de la liste des nombreuses atteintes de nos gouvernants successifs à nos libertés. Aussi, si vous voyez une erreur, un oubli, une correction à apporter à ce travail, nous vous invitons à nous le signaler en nous envoyant un e-mail à contact@partipirate.org.

Sécurité partout, liberté nulle part

État des lieux, collaboratif et incomplet, du recul de l’État de Droit et des libertés individuelles en France.

La France se félicite d’être le pays des droits de l’Homme, des libertés tant individuelles que collectives. On en appelle aux valeurs de la République, à la Révolution française, à l’État de droit. Cependant, les événements récents ou passés, la gestion en France des manifestations ou encore des conflits sociaux nous montrent que derrière ces belles postures se cache une réalité bien plus triste. Il serait rassurant de penser que le problème est temporaire ou récent, mais en réalité, la lutte pour nos libertés collectives ou individuelles reste un combat de tous les instants.

La réduction lente, mais bien présente, de nos libertés, est une triste réalité et, nous le savons bien, une liberté perdue n’est que rarement retrouvée.

Les prémices

En 1793, La France est en guerre contre la première coalition, un rassemblement des grandes puissances européennes opposées à la République française qui menace les royautés encore en place un peu partout sur le continent.

Mais en 1793, la France est aussi en pleine guerre civile, la Terreur, une guerre contre une menace intérieure inédite, une menace idéologique qui met en danger les bases encore fragiles de la toute nouvelle République. C’est dans cette période trouble et sombre de notre histoire que la Convention nationale adopte un terrible décret, la « loi des suspects ». Ce décret, principalement écrit par Robespierre, rend criminelle toute opposition à la Révolution, faisant encourir la peine de mort à toute personne qui remet en question l’idée même de la Révolution.

« Sont réputés gens suspects :

  1. ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leur propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme, et ennemis de la liberté ;
  2. ceux qui ne pourront pas justifier (…) de leurs moyens d’exister et de l’acquis de leurs devoirs civiques ;
  3. ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ;
  4. les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par la Convention nationale ou ses commissaires, et non réintégrés, notamment ceux qui ont été ou doivent être destitués (…) ;
  5. ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs, et agents d’émigrés, qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la révolution ;
  6. ceux qui ont émigré dans l’intervalle du 1er juillet 1789 à la publication du décret du 30 mars – 8 avril 1792, quoiqu’ils soient rentrés en France dans le délai fixé par ce décret, ou précédemment. »

Décret du 17 septembre 1793 relatif aux gens suspects (« Loi de Prairial »), Article 21.

En 1793, en France, il est donc possible d’arrêter et de juger n’importe quelle personne, sans présomption d’innocence, ni aucun droit à la défense (2). Les victoires des armées françaises contre la Prusse et l’Autriche et l’abus que fait Robespierre du pouvoir qu’il détient mettent fin à la Terreur l’année suivante (3). Robespierre suit alors les 16 594 victimes légales de cette loi à la guillotine. 500 000 personnes auront été considérées comme suspectes jusqu’à l’abrogation de la loi en 1795 (4).

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, Article 11 (5).

Liberté de la presse, liberté d’expression

En 1873, une crise boursière démarre à Vienne. De 1873 à 1896, c’est la Grande Dépression. Les dérives du capitalisme et le Scandale du Panama dévalorisent la parole et les actes des gouvernants et, plus largement, des hommes politiques (6). La société, très hétérogène, est propice à la révolte… et à la répression (7).

La très jeune IIIème République (1870) se cherche une légitimité, tiraillée entre le respect des valeurs de la République, incarnées par les Droits de l’Homme et du Citoyen, et le respect de l’ordre public menacé notamment par une idéologie ultra libertaire : l’anarchisme.

La loi sur la liberté de la presse (8), adoptée au cœur de cette période, le 29 juillet 1881, est un texte fondateur de la liberté de la presse ainsi que de la liberté d’expression dans notre pays. Si elle donne beaucoup de libertés, la loi de 1881 propose aussi de les encadrer. C’est dorénavant la Justice qui condamne a posteriori, et non plus l’État qui censure a priori. Profitant de cette liberté de la presse et d’une liberté d’expression beaucoup plus large, une partie du mouvement anarchiste utilise, pour répondre à la violence policière, la propagande par le fait, en cherchant à provoquer une prise de conscience populaire par le biais d’actes violents. Le 9 décembre 1893, Auguste Vaillant lance une bombe dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale qui fait de nombreux blessés. Le président de la chambre des députés, Charles Dupuy aurait déclaré une fois le calme revenu « Messieurs, la séance continue » (9).

Ce qui va suivre ne sera néanmoins pas très modéré.

Deux jours après l’attentat, la première des trois « lois scélérates » est soumise à l’Assemblée (10). Elle vise à punir l’apologie des crimes et délits, ce qu’avaient refusé les parlementaires lors de la rédaction de la loi de 1881. Elle permet aussi la saisie des écrits et l’arrestation provisoire d’un auteur, c’est-à-dire la mise en prison avant jugement, permettant à la police d’emprisonner des personnes ayant soutenu publiquement l’anarchisme (11).

Quatre jours plus tard, la loi sur « les Associations de Malfaiteurs » est déposée afin de pouvoir inculper toute personne proche des mouvements anarchistes et de favoriser la délation. Vous avez logé un anarchiste, envoyé une lettre à un ami cambrioleur, au bagne !

Quelques mois plus tard, une nouvelle loi, plus précise encore, vise directement à museler l’anarchisme. De nombreux journaux anarchistes sont interdits et des procès sont intentés contre les théoriciens de l’anarchisme.

« Tout le monde avoue que de telles lois n’auraient jamais dû être nos lois, les lois d’une nation républicaine, d’une nation civilisée, d’une nation probe. Elles suent la tyrannie, la barbarie et le mensonge. Tout le monde le sait, tout le monde le reconnaît ; ceux qui l’ont votée l’avouaient eux-mêmes. Combien de temps vont-elles rester encore dans nos Codes ? »

Léon Blum – « Les lois scélérates de 1893-1894 – 1. Comment elles ont été faites », 1898 (12)

C’est seulement en 1992 que la dernière de ces trois lois est abrogée (13). Les deux premières sont, quant à elles, toujours en vigueur aujourd’hui.

En 2016, les sénateurs François Pillet (Les Républicains) et Thani Mohamed-Soilihi (Parti socialiste) publient un rapport sur les abus d’Internet. Avec l’aide d’Alain Richard (Parti Socialiste), ils poussent plusieurs amendements sur le projet de loi « égalité et citoyenneté » qui visent directement la loi de 1881. Ces amendements ne sont finalement pas intégrés.

« N’importe quel particulier ou quelle entreprise pourra poursuivre un article qui lui déplaira en s’affranchissant de toutes les contraintes de la loi sur la presse. »

Me Christophe Bigot, « Au nom d’abus sur Internet, la loi sur la liberté de la presse menacée », Le Monde, 1er octobre 2016 (14).

Adoptée le 22 décembre 2018, la loi contre les « Fake news » souhaite limiter la divulgation de fausses informations en période électorale. Inapplicable, elle fait doublon avec la loi de 1881 qui encadrait déjà largement la liberté d’expression.

« Plus d’un siècle après son vote, cette loi fonctionne et permet toujours un point d’équilibre entre la liberté de la presse et la diffamation à l’encontre des personnes »

Pierre Ouzoulias au sujet de la loi sur la liberté de la presse de 1881, « Inefficace ou mal comprise, la loi contre les « fake news » toujours en question » – Jean-Luc MOUNIER, France 24, 19 juin 2019 (15).

« Plusieurs personnes n’ont pas compris l’esprit de cette loi, qui est de s’attaquer à la manipulation de l’information, c’est-à-dire à sa diffusion, et pas à celui ou celle qui produit de la fausse information »

Bruno Studer, Député LREM, « Inefficace ou mal comprise, la loi contre les « fake news » toujours en question » – Jean-Luc MOUNIER, France 24, 19 juin 2019

Le 30 juillet 2018, la loi « Secret des affaires » va finir de décourager les lanceurs d’alerte, jusqu’ici protégés par la loi de 1881, qui pourraient dénoncer certaines pratiques dans certaines entreprises dorénavant bien mieux protégées (16).

« Ce sont des réformes dont la portée juridique est assez incertaine, avec des textes assez mal articulés, qui ouvrent la porte à des dérives interprétationnelles »

Me Le Gunehec, « La loi relative à la protection du secret des affaires est-elle une loi liberticide ? », Jérémie Baruch et Maxime Ferrer, Le Monde, 18 janvier 2019 (17).

« Moi je ne veux plus de l’anonymat sur les plateformes Internet. Et je veux une vraie responsabilité des parents, et l’interdiction, c’est le seul moyen. »

Emmanuel Macron, 7 février 2019, Le Grand Débat (18).

Le 20 mars 2019, Lætitia Avia dépose sa proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet. Cette loi sera finalement promulguée le 24 juin 2020 après avoir été largement censurée par le Conseil Constitutionnel quelques jours plus tôt (19).

Le 15 juin 2019, Nicole Belloubet entend elle aussi lutter contre la « haine en ligne » en proposant le retrait de l’injure et de la diffamation de la loi de 1881 pour permettre un jugement des auteurs en comparution immédiate (20).

« A l’heure des intimidations, rendre possibles des comparutions immédiates pour juger les journalistes enverrait un message extrêmement fort aux groupes de pression divers et variés, aux ennemis de la liberté, à tous ceux qui ne supportent pas la contradiction et ne rêvent que d’une presse et des médias aux ordres. »

Tribune « Réforme de la loi de 1881 : une nouvelle atteinte à la liberté de la presse », 2 juillet 2019 (21).

Mercredi 3 juillet, après la publication de cette tribune signée par un grand nombre d’organisation syndicales de journalistes, la ministre nie finalement souhaiter réformer la loi (22).

Le 17 juillet 2019, l’idée est officiellement abandonnée par le Premier Ministre Edouard Philippe (23).

La suite du dossier « Sécurité partout, liberté nulle part » est disponible en cliquant ici.