Parti Pirate - Trois parlementaires condamnés à la démission : "la démocratie qu'on assassine" ?

Image d'illustration

Trois parlementaires condamnés à la démission : "la démocratie qu'on assassine" ?

Publié le 18/07/2025
  • Le Parti Pirate

Trois parlementaires ont été contraints de démissionner.

Un scandale « Un fait divers » Non, un symptôme d’une démocratie malade. Ce 11 juillet 2025, le Conseil constitutionnel a ordonné la démission d’office ainsi que l’inéligibilité pour une durée d’un an des parlementaires :

  • Brigitte Barèges (députée de la 1ʳᵉ circonscription du Tarn-et-Garonne, qui siège au sein du groupe Union des Droites pour la République (UDR), fondé par Éric Ciotti), a employé pour sa campagne des législatives deux membres du cabinet de la mairie de Montauban sur leurs jours de repos mais aussi sur leur temps de travail.
  • Jean Laussucq (député de la 2ᵉ circonscription de Paris, groupe présidentiel Ensemble pour la République), pour avoir réglé « des dépenses de campagne au moyen de son compte bancaire personnel » et pour avoir laissé des tiers régler « directement une part significative des dépenses exposées pour sa campagne électorale » de 2024.
  • Stéphane Vojetta, (député dans la 5ᵉ circonscription des Français établis hors de France, groupe présidentiel Ensemble pour la République), se décrivant comme indépendant sous pavillon pirate (méconnaissant le Parti Pirate qui existe depuis 2009…), pour avoir réglé « irrégulièrement » une « part substantielle des dépenses engagées », durant sa campagne, notamment des « frais de transport ».

Ce sont trois personnes élues qui sont contraintes à la démission. Assassine-t-on la démocratie ? Si tel est le cas, ce n’est qu’un épisode de plus d’un feuilleton bien connu. Il y a bien longtemps que notre démocratie fonctionne sous assistance respiratoire.

Cette affaire nous donne une parfaite occasion de remettre sur la table un sujet que la presse ne traite que comme un « marronnier cher aux petits partis » en période électorale et qu’elle s’empresse d’oublier sitôt les élections passées.

L'analyse des règles démocratiques actuelles aboutit à une conclusion limpide : ce ne sont pas des dérapages individuels, mais les effets d’un système absurde et opaque, condamnant à l’asphyxie toute alternative politique.

Un cadre réglementaire devenu absurde

L’article 4 de la Constitution française1 énonce que les partis et groupements politiques « concourent à l’expression du suffrage » tout en respectant les principes de souveraineté nationale et de démocratie. La loi est censée garantir un pluralisme des opinions et une participation équitable à la vie politique. S'ensuit une volonté forte de moralisation de la vie politique qui impose des règles pour encadrer son financement et sa transparence. Année après année, loi après loi, rustine après rustine, l’ensemble de ces règles est devenu un monstre, un cumul de contraintes administratives inutilement complexe. Et pourtant, aucune volonté de rationalisation, de simplification ou d’optimisation n’émerge de cet empilement frénétique.

Dans le cadre d’une élection, les règles sont « simples » : après tout, le guide édité par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ne fait que 113 pages2. Il est mis jour à chaque élection ! Période de financement de la campagne qui change d’une élection à une autre, différence de format et de grammage de bulletin3, les règles sont parfois aberrantes. Saviez-vous que si vous avez une permanence de campagne, vous n’avez pas le droit de coller votre affiche à la fenêtre, ou mettre votre slogan sur la porte ?

Pour preuve, même la CNCCFP -- qui a pourtant édité lesdites règles ! -- s'y perd et n’est parfois pas en mesure de répondre avec clarté à toutes les questions des personnes candidates. Qu’importe, une fois l'élection passée, plus personne n'en parlera jusqu'à la prochaine. Sauf nous, Pirates, qui prenons encore une fois la parole à cet égard.

Une usine à gaz financière

Le financement d’un parti politique, particulièrement en période électorale, n’échappe évidemment pas à l’hydre réglementaire de la CNCCFP. Les sources de financement autorisées incluent les cotisations d’adhésion, les dons provenant de personnes physiques, les reversements d’indemnités des personnes élues, et les contributions d’autres partis politiques. Ces dons doivent être effectués exclusivement en euros ou en francs CFA -- oui -- , et aucun financement en crypto-monnaies ne semble être admis aujourd'hui, bien qu’une part croissante de la population française en possède.

Les aides de l’État, régies par la loi du 11 mars 1988, les excédents des comptes de campagne et les produits des manifestations constituent également des sources de financement potentielles.

Ces règles de financement sont un premier obstacle : Comment trouver des financements pour les partis émergent sans soutien de la caste politique déjà en place ? Comment convaincre des personnes élues de risquer de froisser leur propre formation politique en en finançant une autre ? Ces règles contribuent à perpétuer un paysage politique enlisé et décourager toute alternative.

De toute façon, avant d’en arriver à cette question, il faut déjà parvenir à ouvrir un compte bancaire de campagne, nécessaire pour se conformer à la législation.

Le parcours du combattant bancaire

Dans cette mécanique, il faut pouvoir trouver une banque capable d'ouvrir un compte à une personne candidate extrêmement rapidement. Les dépenses de campagne ne pourront passer que par celui-ci. C'est ce qui a fait défaut à deux des « parlementaires démissionnaires d'office ».

En effet, la plupart des banques refusent d’ouvrir un compte, paralysées par le mot « politique ». Et cela malgré l'existence d'un droit au compte pour une personne mandataire. En cas de refus de l’ouverture d’un compte par une banque, vous pouvez exercer ce droit auprès de la Banque de France4.

Mais pour lancer la procédure à la Banque de France, il faut un papier de la banque prouvant son refus d’ouvrir un compte. Ce que les banques rechignent aussi à produire. Dans ce cas, la Banque de France désignera, dans un délai d’un jour ouvré, une banque qui devra, dans les conditions prévues par la loi, vous ouvrir un compte de dépôt avec les services bancaires de base.

Les élections organisées en 2024 se sont tenues dans un délai très serré : trois semaines seulement ont séparé l'annonce de la dissolution de la date du premier tour, le 30 juin. Chaque jour compte pour faire campagne. Dès lors, comment faire ?

Et si d’habitude, se faire rattraper pour défaut de compte bancaire est l’apanage des petites candidatures, force est de constater que même de gros partis se sont fait épinglés cette fois-ci. Pourtant, appartenir à des formations politiques de premier plan assure en général un avantage non négligeable dans la course électorale.

L’avantage structurel des partis établis

Si en général appartenir à un parti établi vous assure d’obtenir une personne mandataire ainsi qu’un compte de campagne dans des délais raisonnables, un autre avantage considérable y est également associé : pouvoir supporter le coût prohibitif d’une campagne électorale sans craindre la banqueroute. Spécificité française, l’État rembourse les « dépenses de propagande », incluant notamment les tracts officiels, les affiches sur panneaux électoraux et les bulletins de vote. Il rembourse également une part des frais de campagne5 pour toutes les candidatures ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour de scrutin, à hauteur de 47,5 % du plafond de dépenses autorisées. Là encore, si certains parlementaires ont réussi ce tour de force et pas d'autres, c'est qu'ils appartenaient à des partis établis qui étaient certains d'obtenir le remboursement de leur frais de campagne.

Lorsqu'il faut dépenser en moyenne 2000 euros sans aucune garantie de remboursement pour payer ses bulletins de vote, ses affiches, ses circulaires, une personne candidate réfléchira à deux fois avant de se présenter. Et que dire des montants de dépenses de certains gros partis en période électorale ? Meetings, réunions, voyages, couverture médiatique… En bref, tout ce que ne pourrait pas s’offrir un petit parti.

Une première proposition, que nous appuyons depuis des années, serait l’utilisation d’un bulletin unique6, comme en Allemagne ou en Belgique : les citoyens votent en cochant le candidat de leur choix sur un bulletin unique, sur lequel apparaît l’ensemble des personnes ou des listes candidates. Au premier tour des législatives 2017, 1 300 tonnes de bulletins ont été imprimées. Avec la mise en place d’un bulletin unique, seules 110 tonnes de bulletins auraient été imprimées. La réforme du bulletin unique, serpent de mer, mettrait ainsi fin à une gabegie financière et écologique au service unique des partis déjà viables économiquement.

Mais pourquoi n’entendons-nous pas les partis alternatifs ?

Malheureusement, la France semble attachée à ce qui est une limitation évidente à l'émergence de nouvelles formations politiques. Un argument que le Conseil constitutionnel balaie régulièrement d'un revers de main. Ainsi, saisi par le Parti animaliste après le scrutin européen du 26 mai 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la loi fondamentale le mode de scrutin réservant l'accès au Parlement européen (et donc au remboursement) aux listes qui recueillent à minima 5 % des suffrages exprimés7. Il a justifié sa décision par des motifs d'un conservatisme à faire pâlir la Russie.

Le législateur, à travers l’établissement de ce seuil, poursuivrait un double objectif :

  • D’une part promouvoir la représentation au sein du Parlement européen des principaux courants de pensée et d'opinion français, afin de « renforcer leur influence dans cette institution » ;
  • D’autre part, « favoriser l'émergence et la consolidation de groupes politiques européens d'envergure significative » ;

Ce faisant, il s'est attaché à « prévenir une fragmentation de la représentation, susceptible de compromettre le bon fonctionnement du Parlement européen » ; un raisonnement radicalement opposé à l'article 4 de notre Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. »

L’argumentaire est clair : si vous obtenez moins de 5 %, vous êtes invisibles. Vous pouvez mourir financièrement, cela ne dérangera pas grand monde.

L'argent ne fait pas tout, nous direz-vous. Et vous auriez raison, en toute autre matière que les élections. En effet, on pourrait imaginer que l'intérêt médiatique pour le renouvellement des idées politiques fasse son œuvre. Loin s'en faut. Réfugiée derrière l'application stricte des règles de l'Autorité de Régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), la presse « suit le mouvement ».

L’Arcom a pour mission de veiller au respect, par les radios et les télévisions, des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 dont, en particulier, celles relatives au pluralisme politique8. En principe, c'est exact. En pratique, les médias audiovisuels doivent respecter la règle d'équité du temps de parole… qui correspond à leur représentativité. Laquelle est établie en fonction des scores aux précédentes élections9. Lesquelles dépendent des règles précédemment énoncées de financement de la vie publique. La boucle est bouclée : plus vous êtes petits, moins vous parlez, moins vous parlez, plus vous êtes petits…

Plusieurs têtes de listes aux élections européennes de 2024, dont Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne), Marine Cholley (Equinoxe), Sven Franck (Volt), Guillaume Lacroix (Parti Radical de Gauche), Nina Morel (Allons Enfants), Hélène Thouy (Parti animaliste) et notre propre tête de liste, Caroline Zorn, avaient été reçues en juin 2024 par l’Arcom après avoir dénoncé l’invisibilisation médiatique ainsi subie… En vain, éconduites d’un simple « Faites un recours après les élections, on l'étudiera ».

En définitive, le Conseil constitutionnel a déclaré inéligible les -- ex -- parlementaires Barèges, Laussucq et Vojetta pour avoir enfreint les règles de financement des campagnes électorales, mais le problème majeur de la vie démocratique française est ailleurs.

Le verrouillage financier, juridique et médiatique encadrant les élections et la vie politique française empêche brutalement et institutionnellement l’ouverture du jeu démocratique.

Si les petits partis sont vent debout contre ce carcan absurde depuis des années, la médiatisation de son exacte application à des figures bien établies semble enfin ouvrir une brèche. Le désormais ancien député Vojetta, corsaire mais sûrement pas Pirate, promet qu'il « ne se laissera pas faire ». Ces ex-parlementaires vont-ils s'engager pour sauver la démocratie, ou leur peau ?

Nous, petits partis et petites formations politiques, continuerons à nous battre, non par choix, mais par nécessité.

Si les règles du jeu tuent les alternatives, c’est la démocratie qu’on enterre.

Ces règles ne sont pas neutres : elles favorisent les puissants, étouffent les nouveaux, et tuent dans l’œuf l’idée même de renouvellement politique. Elles sont inéquitables, inégalitaires, conservatrices. Elles ne garantissent pas la démocratie : elles la simulent. Nous, Pirates, refusons de nous résigner. Nous appelons à une réforme profonde des règles du jeu électoral. Pour que la démocratie survive, il faut que toutes les voix puissent s’exprimer — et pas seulement celles qui ont déjà gagné.